2009-02-21

Un manifeste antillais

En attendant d'avoir trouvé ne serait-ce qu'un libéral guadeloupéen,
voici des morceaux choisis du manifeste de neuf Antillais,
"qu'ils souhaitent diffuser le plus largement possible",
publié par Mediapart (passages mis en gras par Libertas) :

Martinique - Guadeloupe - Guyane - Réunion

MANIFESTE

Pour les "produits" de haute nécessité

C'est en solidarité pleine et sans réserve aucune que nous saluons le profond mouvement social qui s'est installé en Guadeloupe, puis en Martinique, et qui tend à se répandre à la Guyane et à la Réunion. Aucune de nos revendications n'est illégitime. [...]

Cette grève est donc plus que légitime, et plus que bienfaisante, et ceux qui défaillent, temporisent, tergiversent, faillissent à lui porter des réponses décentes, se rapetissent et se condamnent.

Dès lors, derrière le prosaïque du « pouvoir d'achat » ou du « panier de la ménagère », se profile l'essentiel qui nous manque et qui donne du sens à l'existence, à savoir : le poétique. [...]

La « hausse des prix » ou « la vie chère » ne sont pas de petits diables-ziguidi qui surgissent devant nous en cruauté spontanée, ou de la seule cuisse de quelques purs békés. Ce sont les résultantes d'une dentition de système où règne le dogme du libéralisme économique. Ce dernier s'est emparé de la planète, il pèse sur la totalité des peuples, et il préside dans tous les imaginaires – non à une épuration ethnique, mais bien à une sorte «d'épuration éthique » (entendre : désenchantement, désacralisation, désymbolisation, déconstruction même) de tout le fait humain.

Ce système a confiné nos existences dans des individuations égoïstes qui vous suppriment tout horizon et vous condamnent à deux misères profondes : être « consommateur » ou bien être «producteur ». Le consommateur ne travaillant que pour consommer ce que produit sa force de travail devenue marchandise ; et le producteur réduisant sa production à l'unique perspective de profits sans limites pour des consommations fantasmées sans limites. L'ensemble ouvre à cette socialisation anti-sociale, dont parlait André Gorz, et où l'économique devient ainsi sa propre finalité et déserte tout le reste. [...]

Le « déterminant » ou bien le « décisif » s'obtient par des voyages ou par le téléphone. La compétence n'arrive que par des émissaires. La désinvolture et le mépris rôdent à tous les étages. L'éloignement, l'aveuglement et la déformation président aux analyses.

L'imbroglio des pseudos pouvoirs Région-Département-Préfet, tout comme cette chose qu'est l'association des maires, ont montré leur impuissance, même leur effondrement, quand une revendication massive et sérieuse surgit dans une entité culturelle historique identitaire humaine, distincte de celle de la métropole administrante, mais qui ne s'est jamais vue traitée comme telle. [...]

La question békée et des ghettos qui germent ici ou là, est une petite question qu'une responsabilité politique endogène peut régler. Celle de la répartition et de la protection de nos terres à tous points de vue aussi. Celle de l'accueil préférentiel de nos jeunes tout autant. [...]

Le déficit en responsabilité crée amertume, xénophobie, crainte de l'autre, confiance réduite en soi... La question de la responsabilité est donc de haute nécessité. C'est dans l'irresponsabilité collective que se nichent les blocages persistants dans les négociations actuelles. [...]

Ensuite, il y a la haute nécessité de comprendre que le labyrinthe obscur et indémêlable des prix (marges, sous-marges, commissions occultes et profits indécents) est inscrit dans une logique de système libéral marchand, lequel s'est étendu à l'ensemble de la planète avec la force aveugle d'une religion. [...]

Il y a donc une haute nécessité à nous vivre caribéens dans nos imports-exports vitaux, à nous penser américain pour la satisfaction de nos nécessités, de notre autosuffisance énergétique et alimentaire. L'autre très haute nécessité est ensuite de s'inscrire dans une contestation radicale du capitalisme contemporain qui n'est pas une perversion mais bien la plénitude hystérique d'un dogme. La haute nécessité est de tenter tout de suite de jeter les bases d'une société non économique, où l'idée de développement à croissance continuelle serait écartée au profit de celle d'épanouissement ; où emploi, salaire, consommation et production seraient des lieux de création de soi et de parachèvement de l'humain.

Si le capitalisme (dans son principe très pur qui est la forme contemporaine) a créé ce Frankenstein consommateur qui se réduit à son panier de nécessités, il engendre aussi de bien lamentables « producteurs » – chefs d'entreprises, entrepreneurs, et autres socioprofessionnels ineptes – incapables de tressaillements en face d'un sursaut de souffrance et de l'impérieuse nécessité d'un autre imaginaire politique, économique, social et culturel. Et là, il n'existe pas de camps différents. Nous sommes tous victimes d'un système flou, globalisé, qu'il nous faut affronter ensemble. Ouvriers et petits patrons, consommateurs et producteurs, portent quelque part en eux, silencieuse mais bien irréductible, cette haute nécessité qu'il nous faut réveiller, à savoir: vivre la vie, et sa propre vie, dans l'élévation constante vers le plus noble et le plus exigeant, et donc vers le plus épanouissant. [...]

Enfin, sur la question des salaires et de l'emploi. Là aussi il nous faut déterminer la haute nécessité. Le capitalisme contemporain réduit la part salariale à mesure qu'il augmente sa production et ses profits. Le chômage est une conséquence directe de la diminution de son besoin de main-d'œuvre. Quand il délocalise, ce n'est pas dans la recherche d'une main-d'œuvre abondante, mais dans le souci d'un effondrement plus accéléré de la part salariale. Toute déflation salariale dégage des profits qui vont de suite au grand jeu welto de la finance. Réclamer une augmentation de salaire conséquente n'est donc en rien illégitime : c'est le début d'une équité qui doit se faire mondiale. [...]

Nous sommes maintenant au fond du gouffre. Il nous faut donc réinstaller le travail au sein du poétique. Même acharné, même pénible, qu'il redevienne un lieu d'accomplissement, d'invention sociale et de construction de soi, ou alors qu'il en soit un outil secondaire parmi d'autres. Il y a des myriades de compétences, de talents, de créativités, de folies bienfaisantes, qui se trouvent en ce moment stérilisés dans les couloirs ANPE et les camps sans barbelés du chômage structurel né du capitalisme. Même quand nous nous serons débarrassés du dogme marchand, les avancées technologiques (vouées à la sobriété et à la décroissance sélective) nous aiderons [sic] à transformer la valeur-travail en une sorte d'arc-en-ciel, allant du simple outil accessoire jusqu'à l'équation d'une activité à haute incandescence créatrice. [...]

En valeur poétique, il n'existe ni chômage ni plein emploi ni assistanat, mais autorégénération et autoréorganisation, mais du possible à l'infini pour tous les talents, toutes les aspirations. En valeur poétique, le PIB des sociétés économiques révèle sa brutalité.

Voici ce premier panier que nous apportons à toutes les tables de négociations et à leurs prolongements : que le principe de gratuité soit posé pour tout ce qui permet un dégagement des chaînes, une amplification de l'imaginaire, une stimulation des facultés cognitives, une mise en créativité de tous, un déboulé sans manman de l'esprit. Que ce principe balise les chemins vers le livre, les contes, le théâtre, la musique, la danse, les arts visuels, l'artisanat, la culture et l'agriculture... Qu'il soit inscrit au porche des maternelles, des écoles, des lycées et collèges, des universités et de tous les lieux connaissance et de formation... Qu'il ouvre à des usages créateurs des technologies neuves et du cyberespace. Qu'il favorise tout ce qui permet d'entrer en Relation (rencontres, contacts, coopérations, interactions, errances qui orientent) avec les virtualités imprévisibles du Tout-Monde... C'est le gratuit en son principe qui permettra aux politiques sociales et culturelles publiques de déterminer l'ampleur des exceptions. C'est à partir de ce principe que nous devrons imaginer des échelles non marchandes allant du totalement gratuit à la participation réduite ou symbolique, du financement public au financement individuel et volontaire... C'est le gratuit en son principe qui devrait s'installer aux fondements de nos sociétés neuves et de nos solidarités imaginantes...

Projetons nos imaginaires dans ces hautes nécessités jusqu'à ce que la force du Lyannaj ou bien du vivre-ensemble, ne soit plus un « panier de ménagère », mais le souci démultiplié d'une plénitude de l'idée de l'humain. Imaginons ensemble un cadre politique de responsabilité pleine, dans des sociétés martiniquaise guadeloupéenne guyanaise réunionnaise nouvelles, prenant leur part souveraine aux luttes planétaires contre le capitalisme et pour un monde écologiquement nouveau. Profitons de cette conscience ouverte, à vif, pour que les négociations se nourrissent, prolongent et s'ouvrent comme une floraison dans une audience totale, sur ces nations qui sont les nôtres.

An gwan lodyans qui ne craint ni ne déserte les grands frissons de l'utopie.

Nous appelons donc à ces utopies où le Politique ne serait pas réduit à la gestion des misères inadmissibles ni à la régulation des sauvageries du « Marché », mais où il retrouverait son essence au service de tout ce qui confère une âme au prosaïque en le dépassant ou en l'instrumentalisant de la manière la plus étroite.

Ainsi, chers compatriotes, en nous débarrassant des archaïsmes coloniaux, de la dépendance et de l'assistanat, en nous inscrivant résolument dans l'épanouissement écologique de nos pays et du monde à venir, en contestant la violence économique et le système marchand, nous naîtrons au monde avec une visibilité levée du post-capitalisme et d'un rapport écologique global aux équilibres de la planète....

Alors voici notre vision :
Petits pays, soudain au cœur nouveau du monde, soudain immenses d'être les premiers exemples de sociétés post-capitalistes, capables de mettre en œuvre un épanouissement humain qui s'inscrit dans l'horizontale plénitude du vivant....

Les signataires :

Ernest BRELEUR (artiste-peintre)
Patrick CHAMOISEAU (écrivain)
Serge DOMI (sociologue)
Gérard DELVER (comédien et auteur dramatique)
Edouard GLISSANT (poète)
Guillaume PIGEARD DE GURBERT (philosophe)
Olivier PORTECOP (universitaire)
Olivier PULVAR (universitaire)
Jean-Claude WILLIAM (politologue)

5 commentaires:

BLOmiG a dit…

AH AH AH AH AH AH AH AH

quelle tranche de rire. C'est une parodie, rassures-moi ?

Unknown a dit…

Bonjour, j'ai trouvé un "site ouvert à tous ceux qui veulent sauver les Antilles" qui défend des points de vue plutôt libéraux. Avec des articles intéressants, notamment sur le "mythe Béké" et l'incompétence d'Yves Gégo
http://www.ausujetde.com/html/le_mythe_beke.html

Philippe a dit…

Bonjour, j'ai trouvé un "site ouvert à tous ceux qui veulent sauver les Antilles" qui défend des points de vue plutôt libéraux. Avec des articles intéressants, notamment sur le "mythe Béké" et l'incompétence d'Yves Gégo
http://www.ausujetde.com/html/le_mythe_beke.html

Libertas a dit…

Non, c'est un texte authentique, signé entre autres par le prix Goncourt 1992, ce qu'on décèle à la qualité de cette prose.

Libertas a dit…

Hélas ce lien ne fonctionne plus.