2011-04-30

John Stuart Mill sur le travail dominical

"Un autre exemple important d'un empiètement illégitime sur la juste liberté de l'individu, qui n'est pas une simple menace, mais une pratique ancienne et triomphante, c'est la législation du jour du sabbat. Sans aucun doute s'abstenir des occupations ordinaires pendant un jour de la semaine, autant que le permettent les exigences de la vie, est une coutume hautement salutaire, quoique ce ne soit un devoir religieux que pour les Juifs. Et comme cette coutume ne peut être observée sans le consentement général des classes ouvrières, comme quelques personnes en travaillant pourraient imposer aux autres la même nécessité, il est peut-être admissible et juste que la loi garantisse à chacun l'observance générale de la coutume, en suspendant pendant un jour donné les principales opérations de l'industrie. Mais cette justification fondée sur l'intérêt direct qu'ont les autres à ce que chacun observe la coutume, ne s'applique pas à ces occupations qu'une personne se choisit elle-même et auxquelles elle trouve convenable d'employer ses loisirs. J'ajoute qu'elle ne s'applique pas non plus le moins du monde aux restrictions légales apportées aux divertissements. Il est vrai que l'amusement de quelques-uns peut être pendant le jour férié le travail de quelques autres. Mais le plaisir, pour ne pas dire la récréation utile d'un grand nombre, vaut bien le travail de quelques-uns, pourvu que l'occupation soit choisie librement et puisse être librement abandonnée. Les ouvriers ont parfaitement raison de penser que si tout le monde travaillait le dimanche, on donnerait l'ouvrage de sept jours pour le salaire de six ; mais du moment où la grande masse des occupations est suspendue, le petit nombre d'hommes qui doit continuer de travailler pour le plaisir des autres, obtient un accroissement de salaire proportionnel, et nul n'est obligé de poursuivre ses occupations, s'il préfère le loisir au gain. Si l'on veut chercher un autre remède, on pourrait le trouver dans l'établissement d'un jour de congé pendant la semaine pour ces classes particulières de personnes. Il faut donc en venir, pour justifier les restrictions mises aux amusements du dimanche, à dire que ces amusements sont répréhensibles au point de vue religieux, un motif de législation contre lequel on ne peut protester trop vigoureusement. « Deorum injuræ Diis curæ. » Il reste à établir que la société, ou quelqu'un de ses fonctionnaires, a reçu d'en haut la mission de venger toute offense supposée envers la puissance suprême, qui n'est pas aussi un tort fait à nos semblables. L'idée qu'il est du devoir d'un homme qu'un autre soit religieux, fut la cause de toutes les persécutions religieuses qu'on ait jamais ordonnées ; et si elle était reçue, elle les justifierait pleinement. Quoique le sentiment qui se manifeste dans les tentatives souvent répétées pour empêcher les chemins de fer de marcher le dimanche, les musées d'être ouverts, etc., n'ait pas la cruauté des anciens persécuteurs, il y a là toutefois l'indice d'un état d'esprit qui est absolument le même. C'est une détermination de ne pas tolérer chez les autres ce que leur religion leur permet, mais ce que la religion du persécuteur leur défend." (John Stuart Mill, De la liberté)

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