2012-01-12

L'accès à internet n'est pas un droit de l'homme


Traduction à la volée d'un article récent :

New York Times
Les pages opinion
Tribune libre
par Vinton G. Cerf
Publié : 4 janvier 2012

Reston, Virginie

Des rues de Tunis à la place Tahrir et au-delà, les protestations autour du monde l'année dernière était fondées sur internet et sur les nombreux outils qui interagissent avec lui. Bien que les manifestations prospérassent parce que des milliers de personnes se présentèrent pour participer, elles n'auraient jamais pu se produire comme elles l'ont fait sans la capacité qu'offre internet de communiquer, d'organiser et de diffuser partout, instantanément.

Il n'est pas surprenant, alors, que les protestations aient suscité la question de savoir si l'accès à internet est ou devrait être un droit civil ou humain. Le sujet est particulièrement brûlant dans les pays dont les gouvernement ont verrouillé l'accès à internet dans une tentative de réduire au silence les protestataires. En juin, citant les soulèvements au Moyen Orient et en Afrique du Nord, un rapport du rapporteur spécial des Nations Unies est allé jusqu'à déclarer qu'internet était « devenu un outil indispensable à la réalisation d'un éventail de droits de l'homme ». Ces dernières années, des tribunaux et parlements dans des pays comme la France et l'Estonie ont déclaré que l'accès à internet était un droit de l'homme.

Mais cet argument, aussi bien intentionné qu'il soit, passe à côté d'un point plus important : la technologie est un catalyseur (enabler) des droits, pas un droit en soi. Il y a un seuil élevé pour que quelque chose soit considéré comme un droit de l'homme. Grosso modo, cela doit faire partie des choses dont nous humains avons besoin afin de mener des vies saines et ayant un sens, comme le droit de ne pas être torturé ou la liberté de conscience. C'est une erreur que de placer une technologie particulière dans cette haute catégorie, puisque avec le temps nous finirons par accorder de la valeur aux mauvaises choses. Par exemple, à une époque si vous n'aviez pas de cheval il était difficile de gagner sa vie. Mais le droit important dans ce cas était le droit de gagner sa vie, pas le droit à un cheval. Aujourd’hui, si on m'octroyait le droit à avoir un cheval, je me demande où je le mettrais.

Le meilleur moyen de caractériser les droits de l'homme est d'identifier les résultats que nous essayons de garantir. Ceux-ci incluent des libertés critiques comme la liberté d'expression et la liberté d'accès à l'information – et celles-ci ne sont pas nécessairement liées à une technologie particulière à une époque particulière. En effet, même le rapport des Nations Unies, qui fut largement salué pour avoir déclaré que l'accès à internet était un droit de l'homme, reconnaissait qu'internet est précieux comme moyen au service d'une fin, et non comme une fin en soi.

Qu'en est-il de la prétention que l'accès à internet est ou devrait être un droit civil ? Le même raisonnement que ci-dessus peut être appliqué ici – l'accès à internet est toujours seulement un outil pour obtenir autre chose de plus important – bien que l'argument selon lequel il s'agit d'un droit civil est, je le concède, plus solide que celui qui affirme qu'il s'agit d'un droit de l'homme. Les droits civils, après tout, sont différents des droits de l'homme parce qu'ils nous sont conférés par la loi, et ne nous sont pas intrinsèques en tant qu'être humains.

Alors que les Etats-Unis n'ont jamais décrété que quelqu'un aurait un « droit » à un téléphone, nous nous sommes approchés de ceci avec la notion de « service universel » - l'idée que le servie téléphonique (et électrique, et maintenant l'internet à haut débit) doit être disponible même dans les régions les plus reculées du pays. Quand nous acceptons cette idées, nous sommes au bord de l'idée de l'accès à internet comme droit civil, parce que garantir l'accès est une politique publique menée par le gouvernement.

Cependant toutes ces discussions philosophiques négligent un sujet plus fondamental : la responsabilité des créateurs de technologie eux-mêmes de soutenir les droits humains et civils. Internet a offert une plateforme extrêmement accessible et égalitaire pour créer, partager et obtenir de l'information à l'échelle globale. De là, il résulte que nous avons de nouvelles voies de permettre aux gens d'exercer leurs droits humains et civils.

Dans ce contexte, les ingénieurs ont non seulement la formidable obligation de mettre ces pouvoirs à la disposition des utilisateurs, mais aussi une obligation d'assurer la sécurité des utilisateurs en ligne. Cela signifie, par exemple, protéger les utilisateurs de dangers spécifiques comme les virus et les vers qui envahissent silencieusement leurs ordinateurs. Les technologistes devraient travailler dans cette perspective.

Ce sont les ingénieurs – et nos associations professionnelles et les organisations qui déterminent les standards comme l'Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens – qui créent et entretiennent ces nouvelles capacités. Pendant que nous cherchons à faire progresser l'état de l'art dans la technologie et son usage dans la société, nous devons être conscients de nos responsabilités civiles en sus de notre expertise en ingénierie.

Améliorer internet est juste un moyen, quoique important, d'améliorer la condition humaine. Cela doit être fait avec une appréciation des droits civils et humains qui méritent protection – sans prétendre que l'accès lui-même est un tel droit.


Vinton G. Cerf, membre de l'IEEE, est vice-président et évangéliste internet en chef (sic) pour Google.

2 commentaires:

Jacques a dit…

Pour ceux qui aiment bien les versions originales, voici le lien :http://nyti.ms/AzPQBO

Libertas a dit…

Oups, j'avais oublié de mettre le lien. Merci. Je vais l'ajouter.